Fubuki était irréprochable. Son seul défaut était qu'à vingt-neuf ans, elle n'avait pas de mari. Nul doute que ce fût pour elle un sujet de honte. Or, à y réfléchir, si une jeune femme aussi belle n'avait pas trouvé d'époux, c'était parce qu'elle avait été irréprochable. C'était parce qu'elle avait appliqué avec un zèle absolu la règle suprême qui servait de prénom au fils de monsieur Saito. Depuis sept ans, elle avait englouti son existence entière dans le travail. Avec fruit, puisqu'elle avait effectué une ascension professionnelle rare pour un être du sexe féminin. Mais avec un pareil emploi du temps, il eût été absolument impossible qu'elle convolât en justes noces. On ne pouvait cependant pas lui reprocher d'avoir trop travaillé car, aux yeux d'un Japonais, on ne travaille jamais trop. Il y avait donc une incohérence dans le règlement prévu pour les femmes : être irréprochable en travaillant avec acharnement menait à dépasser l'âge de vingt-cinq ans sans être mariée et, par conséquent, à ne pas être irréprochable. Le sommet du sadisme du système résidait dans son aporie : le respecter menait à ne pas le respecter.
Amélie Nothomb, Stupeur et tremblements, Albin Michel, 1999, pp. 144-105
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