Innovation et tradition
Si nous examinons la vie quotidienne, les bouleversements dont notre vieux
continent a été le théâtre ces derniers temps sont saisissants. Ainsi, le village
dans lequel j’ai passé mon enfance a sans doute changé davantage en cinquante
ans qu’en cinq cents ans. Quand j’explique à mes filles que les paysans
« faisaient les foins » à la faucille ou que les femmes lavaient leur linge au
lavoir, elles éprouvent irrésistiblement le sentiment que je sors tout droit d’une
grotte préhistorique. (fin cadets)
C’est aussi la condition féminine de cette époque, pourtant pas si lointaine,
qu’elles ne peuvent appréhender tant a changé la situation des femmes. Un seul
indice en provenance du pays des référendums : le dernier canton helvète leur
accorde le droit de vote depuis moins de trente ans !
On pourrait bien sûr multiplier les exemples de ces ruptures aussi récentes
qu’abruptes, évoquer ces oeuvres cinématographiques qui, avant-guerre ou juste
après, mettaient en scène des institutions scolaires telles que le magnifique
Topaze de Pagnol avec son inénarrable dictée énoncée dans un silence solennel,
devant des élèves pieusement penchés sur des pupitres troués d’encriers en
porcelaine blanche emplis d’une encre violette. (fin juniors)
Ainsi, si l’identité nationale suscite tant et tant de controverses, c’est moins à
cause des courants d’immigration que l’on a cru bon d’accuser de tous les maux
qu’en raison de cette déconstruction des valeurs et des autorités traditionnelles à
nulle autre pareille. Il suffirait que l’on recoure à une perspective cavalière sur
l’histoire de la haute culture pour mesurer l’ampleur desdites révolutions : en
quelques décennies, on a démonté la tonalité en musique, déconstruit la
figuration en peinture, mis sens dessus dessous les règles des beaux-arts. Bien
au-delà du domaine esthétique, ce sont tous les symboles traditionalistes du
surmoi, des morales religieuses ou petites-bourgeoises empreintes de
conventionnalisme qui, dans un mithridatisme quasi général, furent ébranlés
comme jamais par le passé.
Quant à l’avenir, j’ose croire qu’il appartient à celui ou celle qui, comme vous
tous, chérit notre langue française, ses traits d’union et ses accents circonflexes.
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