Marguerite DURAS, L'Amant
C'était toujours les mêmes départs. La séparation d'avec la terre s'était toujours faite dans la douleur et le même désespoir, mais ça n'avait jamais empêché les hommes de partir... Lorsque l'heure du départ approchait, le bateau lançait trois coups de sirène, très longs, d'une force terrible, ils s'entendaient dans toute la ville et du côté du port le ciel devenait noir. Les remorqueurs s'approchaient alors du bateau et le tiraient vers la travée centrale de la rivière. Lorsque c'était fait, les remorqueurs larguaient leurs amarres et revenaient vers le port. Alors le bateau encore une fois disait adieu, il lançait de nouveau ses mugissements terribles et si mystérieusement tristes qui faisaient pleurer les gens, non seulement ceux du voyage, ceux qui se séparaient mais ceux qui étaient venus regarder aussi, et ceux qui étaient là sans raison précise, qui n'avaient personne à qui penser.
Aide à la correction - Dictée sur L'Amant de Marguerite Duras
Orthographe - Points d'attention
- Marguerite DURAS : nom propre avec majuscule au prénom et majuscules pour le nom de famille
- L'Amant : majuscule au titre de l'œuvre
- s'était : élision et trait d'union avant "était"
- n'avait : élision du "e" de "ne"
- empêché : accent circonflexe sur le premier "e"
- s'entendaient : élision et trait d'union
- côté : accent circonflexe sur le "o"
- c'était : élision du "e" de "ce"
- larguaient : attention au "u" après le "g"
- mystérieusement : "y" et non "i", suffixe "-eusement"
Grammaire & Conjugaison
- C'était : imparfait, 3e personne du singulier
- s'était faite : plus-que-parfait, forme pronominale, accord du participe passé avec "séparation" (féminin)
- n'avait jamais empêché : plus-que-parfait avec négation
- approchait : imparfait, 3e personne du singulier
- lançait : imparfait, 3e personne du singulier
- s'entendaient : imparfait, 3e personne du pluriel (sujet "ils" = les coups de sirène)
- devenait : imparfait, 3e personne du singulier
- s'approchaient : imparfait, verbe pronominal, 3e personne du pluriel
- tiraient : imparfait, 3e personne du pluriel
- était fait : imparfait passif, 3e personne du singulier
- larguaient : imparfait, 3e personne du pluriel
- revenaient : imparfait, 3e personne du pluriel
- disait : imparfait, 3e personne du singulier
- lançait : imparfait, 3e personne du singulier
- faisaient : imparfait, 3e personne du pluriel (sujet "mugissements")
- étaient venus : plus-que-parfait, 3e personne du pluriel
- étaient : imparfait, 3e personne du pluriel
- n'avaient : imparfait négatif, 3e personne du pluriel
Le temps principal
L'imparfait de l'indicatif est le temps dominant dans ce texte narratif. Il est utilisé pour décrire des scènes répétitives ou habituelles dans le passé ("C'était toujours les mêmes départs") et pour créer un arrière-plan descriptif.
Règle d'emploi : l'imparfait exprime une action ou un état qui se prolonge dans le temps, sans indication précise sur son début ou sa fin. Dans ce texte, il sert à évoquer le caractère répétitif et immuable du rituel des départs en bateau, comme une scène que la narratrice a vue plusieurs fois.
Homophones potentiellement difficiles
- s'était/c'était :
- "s'était" est la forme pronominale du verbe être (s'était faite)
- "c'était" est la forme démonstrative du verbe être (c'était toujours...)
- Astuce : identifier le sujet - "se" renvoie à un sujet précédent, "ce" est impersonnel
- ça/sa :
- "ça" est un pronom démonstratif (ça n'avait jamais empêché)
- "sa" serait un déterminant possessif féminin
- Astuce : on peut remplacer "ça" par "cela"
- ces/ses/c'est :
- "ces" est un déterminant démonstratif pluriel (ces mugissements)
- "ses" est un déterminant possessif (ses mugissements)
- Astuce : "ces" peut être remplacé par "ceux-ci" ou "celles-ci"
- ou/où :
- "ou" est une conjonction de coordination (pas dans ce texte)
- "où" est un pronom relatif de lieu ou de temps (pas dans ce texte)
- qui/qu'il :
- "qui" est un pronom relatif (ceux qui se séparaient)
- "qu'il" serait la contraction de "que" et "il"
- Astuce : "qui" introduit une proposition relative et peut être sujet du verbe qui suit
Ponctuation
- Points de suspension (...) après "partir" indiquant une pensée qui se poursuit
- Virgules pour séparer les propositions
- Absence de tirets ou de guillemets car il s'agit d'une narration et non d'un dialogue
Vocabulaire et expressions
- séparation d'avec : expression signifiant éloignement, départ
- coups de sirène : signaux sonores émis par le bateau
- remorqueurs : petits bateaux puissants servant à guider et tirer les gros navires
- travée centrale : partie centrale navigable d'un cours d'eau
- larguer les amarres : détacher les cordages qui retiennent un bateau
- mugissements : sons graves et prolongés, évoquant le cri du bœuf (ici métaphore pour les coups de sirène)
Style et analyse
Le style de Duras se caractérise par des phrases longues, à la structure complexe, entrecoupées de virgules qui créent un rythme lancinant. L'écriture est sensorielle, évoquant les sons (sirène, mugissements), les images (ciel noir) et les émotions (douleur, désespoir, tristesse). La répétition de certains termes ("toujours", "bateau") renforce l'impression de rituel immuable.
Ce passage établit également un parallèle entre différentes catégories de personnes (ceux qui partent, ceux qui restent, les simples spectateurs), tous unis dans une même émotion face au départ du bateau.
Contexte littéraire
"L'Amant" est un roman autobiographique de Marguerite Duras publié en 1984, qui lui a valu le prix Goncourt. L'action se déroule principalement en Indochine française (actuel Vietnam) dans les années 1930. Le roman raconte la relation amoureuse entre une jeune fille française de 15 ans et un riche Chinois plus âgé. Ce passage évoque probablement les départs en bateau sur le Mékong, fleuve important dans la géographie du roman et dans l'imaginaire de Duras.
Anecdote
Marguerite Duras a passé son enfance et son adolescence en Indochine française où sa mère travaillait comme institutrice. Les scènes de départ en bateau décrites dans "L'Amant" s'inspirent directement de son expérience personnelle. Le roman a connu un immense succès public (plus de deux millions d'exemplaires vendus) et a été adapté au cinéma par Jean-Jacques Annaud en 1992. Duras, qui n'approuvait pas cette adaptation, a ensuite publié "L'Amant de la Chine du Nord" (1991), une version alternative de son roman.
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